" Dans le sillage des Marins de Lorraine "
Bulletin de liaison de l'Union des Marins de Lorraine (version web)
Septembre 2004
- Sommaire
Mot du Président
L’AMMAC de METZ change de Président
Un Ami nous quitte - Hommage à André MOUROT
"Les Bagnards d’Hô Chi Minh"
La « bouffe » du camp n° 1
Documents
Le capitaine de vaisseau Luce de Casabianca
Photos anciennes

 Mot du Président

Dernière Edition ou ULTIMA FORSAN (La dernière, peut-être) ou encore :
 Sauve qui peut….reste qui veut !

 La plupart d’entre vous, vous avez eu connaissance de la lettre FAMMAC n° 120 du 10.03.2004, ainsi que la réponse adressée le 30.03.2004 au Président de la Fédération.

Il nous semblait avoir apporté tout l’éclairage nécessaire pour justifier la nécessaire existence de l’UNION des MARINS de LORRAINE.

Quelques invitations et contacts nous ont laissé espérer que nous pouvions, enfin, nous consacrer pleinement et sans retenue à la poursuite de nos objectifs,. eh bien, nous nous sommes trompés……

En effet, une seconde lettre n° 280 du 18.06.2004 (date anniversaire mémorable), nous a été adressée nous mettant le dos au mur….

D’aucun d’entre-nous pensions que nous faisions partie d’une grande famille « UNIS comme à BORD »…méditons !

Une réponse a été adressée le 19.06.2004 puis, le 29.06.2004, une lettre demandant un délai à « surseoir » afin de permettre, à tout un chacun un de bien réfléchir en cette période de vacances et permettre, à la prochaine Assemblé Générale, de s’exprimer pour ou contre l’UNION des MARINS de LORRAINE .

Mais si, mieux que la Fédération qui ne nous dit pas qui est derrière cette volonté de nous voir disparaître, vous êtes en situation de nous éclairer, sachez que beaucoup d’entre nous sommes preneurs.

Grâce à votre implication et à l’excellent travail de Daniel, ce bulletin de liaison « Dans le sillage des Marins de Lorraine » a pu vivre, ce numéro sera peut-être le dernier puisque ceux qui souhaitent nous voir disparaître n’aurons certainement pas la volonté de partager ce qui fait notre différence, pas plus qu’ils n’auront notre ténacité à aller de l’avant.

Guy DONNET

L’AMMAC de METZ change de Président

Hommage du Président Guy DONNET, rendu à Monsieur René KLARES, Président de l’AMMAC de METZ et Environs , lors de l’élection de son remplaçant qui s’est déroulée le 25 avril 2004.

« Mon Cher Président et Ami, »

 « Vous avez été élu Président de l’Association des Marins de METZ et ENVIRONS, au cours de l’Assemblée Générale de 1990, pour le plus grand bonheur de Madame KLARES, à qui nous adressons nos plus vifs remerciements pour nous l’avoir « prêté » si longtemps, prenant ainsi la suite de l’illustre Président Alfred RAISER que beaucoup d’entre-nous avons connu, tant il est encore présent dans nos mémoires. Pourquoi ?

Parce qu’il a été l’homme de base de la création de votre Association, avec le Docteur WILHELM et les anciens tels que : FREINDT – STROF – ROGER MISSOT – DUDEVANT et CHRISTOPHE 1er Président d’Honneur, une bonne centaine de Marins la composait alors pour atteindre un effectif de 358 membres en 1945.

  • de la création de la Fédération Mosellane des Associations de Marins de Moselle,
  • du jumelage avec la Marinekameradschaft de Rheindürkheim le 29.septembre 1969.

La particularité de votre Association de Marins et qui en fait probablement l’efficacité, réside dans le fait que, les Présidents et ceux qui les entourent battent les records de durée de mandat.

  • 24 ans pour M. BROUANT
  • 23 ans pour M. JAQUART
  • 21 ans pour M. RAISER, et
  • 14 années de mandat pour vous même et, si nous vous félicitons pour cet engagement, vous savez qu’en matière de retraite, celle ci n’est acquise qu’à l’issue de 15 années de service dans le cadre d’une retraite proportionnelle……

Comme il va vous manquer c’est quelques trimestres, soyez assuré, mon Cher Ami, que si vous manquerez à votre Association, vous nous manquerez à nous tous ici présent.

En vous concédant des majorations pour « ancienneté », nous vous autorisons néanmoins à vous retirer pour « conduite exemplaire à la tête de l’AMMAC de METZ » où vous avez réussi, avec brio, de pérenniser l’Association,

  • à organiser les anniversaires de celle-ci,
  • à maintenir le jumelage avec la M.K.
  • à participer au projet de jumelage avec la Frégate GUEPPRATE,
  • à vous investir pleinement dans la mise en place et la réussite des Congrès de notre Fédération, de celle de la Confédération Maritime Internationale et de la Confédération des Anciens de la Défense.

Entré à l’Ecole des Mousses le 1er avril 1940, puis votre embarquement sur le « Georges LEYGUES » et une dernière escale à l’Hôpital d’ALGER qui à décidé d’une carrière que vous ne pouviez imaginer à ce moment là font que, après avoir été honoré par les insignes de l’Ordre National du Mérite, nous, vos amis, nous vous autorisons à céder la barre à votre successeur, Monsieur CLEVENOT, en lui souhaitant « bon vent et bonne mer » qu’il soit également le gardien du phare et le gendarme des valeurs que sont les nôtres.

Les bons s’en vont……mais les meilleurs restent, donc, Cher Ami, à demain ? »

 
Lors de l’Assemblée Générale qui s’est déroulée

le 25 avril 2004, le Président René KLARES

(à gauche) présente à ses Membres son successeur,

Monsieur André CLEVENOT, qui devient le nouveau Président de l’AMMAC de METZ et Environs.

Un Ami nous quitte - Hommage à André MOUROT  

Les Membres de l’AMMAC de METZ ont perdu un Ami

Les Membres de l’AMMAC de METZ ont le regret de vous faire part de la perte de leur Ami André MOUROT, Membre de cette Association depuis 1943, qui s’appelait alors : « Les Anciens de la Marine, Section de METZ ».

Lors de sa disparition, les Membres de l’AMMAC de METZ, qui ne l’oublieront jamais, se sont réunis et lui ont rendu un vibrant hommage en l’honneur de sa mémoire.

Les textes ci-après, qui retracent sa carrière et qui montrent l’homme de valeur qu’il était, ont été lus lors de la cérémonie religieuse qui a été célébrée le 5 juin 2004, afin de le conduire à sa dernière demeure

- Texte de M. René KLARES, Président d’honneur de l’AMMAC de METZ:

« Originaire d’un petit village lorrain, Brulange, notre camarade André, a ressenti très tôt l’appel du grand large. C’est ainsi qu’il a effectué son premier grand voyage en 1938, à l’âge de 15 ans, en traversant toute la France pour rejoindre BREST et le bâtiment « Armorique » où il fit ses premières classes dans l’Ècole des Mousses. C’est à son bord qu’il a appris son métier de Marin ».

« La vie y était dure, d’une grande rigueur ; d’une obéissance totale. Cela ne l’empêche pas de poursuivre son désir d’être Marin. »

« En 1940, à l’âge de 17 ans, embarqué à bord du cuirassé « Strasbourg », André qui fût un des rares rescapés de l’agression anglaise sur Mers El Kébir, fût précipité, avec ses camarades dans la guerre. Malgré cela, en tant que bon lorrain, il fit le choix de continuer le combat sous le Drapeau tricolore, non sans sacrifice, loin de sa chère Lorraine ».

« Durant les tumultueuses années qui suivirent, il embarqua sur de nombreux bâtiments, il participa avec ses camarades à la Bataille de l’Atlantique. Il sillonna dans les Océans, toutes les mers au cours de sa carrière. Il découvrit, ainsi de nombreuses contrées : Dakar, Casablanca, New-York, La Polynésie, Madagascar, les Antilles et tant d’autres endroits dont il aimait nous en parler ».

« Parmi les bâtiments qui l’ont le plus marqué, et à tout jamais, il faut évoquer le « Richelieu », le « Lansquenet », le « Fleuret » et la « Gazelle », sur lesquels, il a partagé tant d’aventures. Toutes ces années passées dans la Marine l’ont profondément marqué ».

« Après dans une autre vie professionnelle, tu as mis à profit tes années de retraite pour t’investir à nos cotés dans l’Association d’Anciens Marins, afin de retrouver cet esprit qui était le tien, celui de « Marin un jour, Marin toujours ». Au sein de l’Association, tu as accepté le poste de responsable de l’AEAMMAC tout en assurant les fonction simultanées de Secrétaire et de Président ».

« Ces engagements, tu les avais souhaités pour faire connaître, en particulier, aux jeunes lorrains, les possibilités que pouvait offrir la Marine. Tu aimais la Marine au point de marquer de ta présence et afin de représenter ton Association aux diverses manifestations patriotiques organisée ici et là sur la place de METZ et de ses Environs. Il ressortait de toi et de ta présence, une grande joie, un dévouement, une fidélité et une gentillesse ».

« Nous aimons à nous rappeler que tu allais, de ton propre gré, depuis de nombreuses années, tous les vendredis de chaque semaine, faire une visite au personnel du BICM de METZ, où tu as laissé un très bon souvenir ».

« Pendant tout ce temps que tu nous consacrais, ainsi que celui que tu laissais à ton épouse et à ta fille, tu as encore trouvé le temps pour rédiger tes mémoires et construire de nombreuses maquettes que tu aimais tant ».

« C’est assis dans ton fauteuil, en les regardant que tu t’es endormi. Si il y a un paradis des Marins, nous sommes sûrs, André, que tu y seras, pour veiller sur nous et ceux qui t’aiment ».

« Au Revoir André »

- Texte de André CLEVENOT Président de l’AMMAC de METZ

 « A André MOUROT »
« Marin un jour, Marin toujours… »
« Ton existence a prouvé la justesse de cet adage ».
« Toujours… Autre façon de dire éternité ».
« Cette éternité dans laquelle tu viens d’entrer, »
« Accueilli par le Seigneur en cet endroit du paradis qu’il réserve sans doute aux Marins ».
« Tu nous y précède et je suis sûr que tu nous garderas une place près de toi lorsque notre heure sera venue ».
« Aujourd’hui, vois notre grande peine et mesures ainsi l’ampleur de l’amitié que nous te portons ».
« Tu nous manques déjà. Ta place dans nos assemblées sera toujours vide, mais toi, André, par la grâce de Dieu, repose en paix ».
« Adieu . »

 

  Proverbe polonais

Si tu vas en guerre, prie une fois

Si tu vas en mer, prie deux fois,

Si tu vas en mariage, prie trois fois.

 

"Les Bagnards d’Hô Chi Minh" - (Editions Albin Michel)

Ce livre qui a été écrit par l’adjudant-chef René MARY, relate la dure vie des prisonniers que le Viet-Minh a fait durant la difficile période des dernières années de la guerre d’Indochine. Il décrit les aventures et le calvaire qu’ont pu endurer ces hommes dont beaucoup n’ont pas survécu à ces épreuves

Il est préfacé par le colonel Pierre CHARTON, ancien commandant du sous-secteur de Cao-bang et ancien prisonnier des Viets, pendant quatre ans au camp n° 1 :

« On a beaucoup parlé du camp n° 1, on a surtout beaucoup écrit sur la vie menée par les officiers, adjudants-chefs et adjudants détenus par les Viets ? on s’est beaucoup moins préoccupé des camps où pourrissaient mélangés sous-officiers et hommes de troupe et pourtant !

Ces bagnes ont eu aussi leurs tragédies et leur part d’héroïsme, car, ne l’oublions pas, les soldats de la RC4 étaient en 1950 des soldats d’élite, fiers de servir sur la route de la mort, l’endroit le plus dangereux de toute l’Indochine »

« L’adjudant-chef Mary, un de nos maréchaux tels que les a décrits Pierre Sergent, répare l’oubli dans lequel ces camps avaient été laissés, faute de témoins, en publiant ce livre magnifique qui reconstitue la vie dans les camps n° 2 et n° 3. René Mary a assisté à l’exécution d’un militaire de nos services des transmissions qui avait accepté de remplir les fonctions de radio chez les Viets, dans l’espoir d’entrer en contact avec le Corps expéditionnaire et de le renseigner sur les camps de prisonniers et sur les mouvements de l’Armée Giap. Surpris, malheureusement, en flagrant délit de conversation avec l’armée française, par les services Viets, il a été fusillé d’une manière atroce, à titre d’exemple, devant les prisonniers du camp n°3. »

« Le livre de René Mary montre que nos sous-officiers et hommes de troupe ont su résister aussi bien et peut-être mieux à la propagande viet-minh que les "pensionnaires" du camp n° 1. J’en ai eu moi-même la preuve au cours de mes rares rencontres avec quelques uns de mes légionnaires pendant mes quatre années d’invitation forcée sur les terres du vénérable oncle Hô. Ils ont eu d’autant plus de mérite qu’en dehors des corvées ordinaires et compréhensibles d’entretien de leur camp, ils étaient soumis à des travaux exténuants de remise en état des routes en zone viet avec des moyens de fortune et des normes de résultats à faire pâlir d’envie les plus stakhanovistes des travailleurs russes. »

« En lisant, avec combien d’émotion, le livre de Mary, j’ai revécu mes jours de captivité au camp n° 1, revu les infirmeries surnommées morgues. Il faut les avoir vues pour comprendre. N’ai-je pas croisé, un jour, un convoi transportant, sous les ordres du sous-chef de camp, un malade encore vivant pour l’enterrer ; il fut, sur mon intervention reconduit à la morgue, pour reprendre le chemin du cimetière, le lendemain probablement. »

« Un légionnaire polonais qui avait séjourné à Auschwitz et à Buchenwald, m’a affirmé avoir été moins malheureux dans ces camps de la mort qu’en captivité chez les viets. La vie que nous menions dans les camps viets est en fait incompréhensible pour un Européen. Pour assurer leur survie au camp n° 1, tout comme aux camps n°2 et n° 3, les prisonniers n’allaient-ils pas jusqu’à vendre leurs vêtements pour acheter quelques œufs. Il n’y avait plus de chats là où nous passions, on mangeait même des serpents. »

« Je m’incline avec beaucoup de respect devant tous ceux qui reposant en terre indochinoise, sont morts de sous-alimentation, du travail forcé et du manque d’hygiène. je remercie au nom de tous les prisonniers des Viets, mon ancien sous-officier du services des renseignements de Cao-Bang de s’être donné la peine d’écrire ce témoignage si vrai et si objectif. »

« Je souhaite à mon ami Mary, un grand succès pour son beau livre, véritable chant d’honneur de nos héros méconnus et oubliés des camps viets de la mort. En mon nom et en leur nom, je lui dis notre reconnaissance. »

 Daniel THIRION de l’AMMAC de METZ,et Rédacteur en Chef de ce Bulletin, dont le père, le Commandant René THIRION a fait partie des contingents de prisonniers qui ont vécu dans le camp n° 1, vous fait partager un des chapitres de ce livre

La « bouffe » du camp n°1

 Après la traversée de Quang Uyen, nous prenons la route de Trung Khanh Phu, la route du nord, celle de la frontière sino-vietnamienne. Nous l’empruntons sur deux kilomètres avant de prendre, sur notre droite, une piste de montagne. Nous franchissons un petit col et nous plongeons dans une vallée pour découvrir, blotti au pied d’un calcaire, le village de Soc Chang.

Nous sommes au camp n°1. D’autres prisonniers nous y attendent. Ce camp n’a rien de commun avec ce que nous pouvions imaginer. Ici, pas de baraquement, pas de barrières infranchissables et autres sophistications occidentales. Pas de gardes à l’entrée, donc pas de poste de police. Aucun fil barbelé et encore moins de mirador. La nature remplace tous ces éléments. La nature avec sa brousse, sa jungle, ses montagnes et ses calcaires, avec une végétation où nous ne pouvons rien tirer de comestible.

La nature, ici, c’est l’équation évasion-nourriture. Cette équation, facile à résoudre en Europe, devient impossible dans ce pays quand on y ajoute…la distance.

Ici, la nature devient notre gardienne.

Le village de Soc Chang est construit sur pilotis. Il est habité par des Thos. Un ru le traverse, un ru où s’écoulent les eaux usées des can-ha (habitations), le purin des étables, où vont s’ébattent canards et cochons noirs.

Dès notre arrivée, nous déposons les ballots de couvertures dans une baraque. Nos vestes sont délestées du riz et nous nous rassemblons sur une placette devant la can-ha du chef de camp (surnommé Tom-Mix), par groupes, colonne par un, dans un ordre parfait. Quelques civils, des hommes assistent à ce rassemblement. Chaque colonne passe à la fouille. Elle est ensuite prise en charge par un civil et disparaît dans ses quartiers.

Compte tenu du procédé de distribution des logements, notre groupe s’arrange pour ne pas être disloqué. Nous tenons à rester ensemble.

A notre tour nous passons au crible, alliances, montres, briquets, pipes, portefeuilles disparaissent.

- Votre nom ? demande le Viet.

- François Gonzales…

A coté de son nom, François voit s’inscrire le contenu de ses poches.

- Rendez-moi mon portefeuille ; il contient des photos de ma famille et des papiers personnels.

Le Viet ouvre le portefeuille, le vide, prend une photo et demande :

- Qui est-ce ?

- C’est ma femme et ma fille. Je ne vois pas ce que vous pouvez en faire…

- Ne vous tracassez pas, répond le Viet, nous vous le rendrons quand la guerre sera finie. Au suivant…

Chacun à notre tour, nous déclinons notre identité et nous voyons s’inscrire notre richesse sur le papier.

Dubois ne pose aucune question. Que faire ? Que dire ?

Un Viet fouille la doublure de sa veste, inspecte le revers de l’encolure. Du bout des doigts, il en extrait une aiguille…

_ Pourquoi cette aiguille ? demande-t-il.

_ Pour réparer une déchirure possible.

Le Viet dépose ce petit ustensile sur la table.

_ Mais je ne vois pas pourquoi vous me confisquer cette aiguille, elle peut m’être utile…

Avec un grand sourire le Viet regarde Dubois :

_ Très utile, en effet. Vous pouvez, avec cette aiguille, fabriquer une boussole et vous évader. Nous vous la rendrons à la fin de la guerre.

Pris en charge par un civil, nous quittons la placette. Un homme de notre détachement interpelle notre nha-què :

_ Dis, pépère, c’est loin chez toi ? Tu sais, on a mal aux cannes, ménages-nous, s’il te plaît.

Le paysan tho se retourne vers nous en souriant et, du bras, nous fait signe de la suivre. Bientôt, nous arrivons « chez nous ».

Chez nous, c’est une vaste pièce. Comme tous les habitants du village, ce civil a été mis dans l’obligation de partager son habitation. Nous sommes isolés du reste de sa famille par une cloison de kai-fen. La pièce qui nous accueille est grande et propre.

François, notre chef de chambre désigné d’office par la communauté organise notre chambrée.

_ On aurait pu tomber plus mal. L’étanchéité de la baraque semble bonne. On bouchera les trous avec de la paille de riz. Même sans couvertures, avec le nombre, nous n’aurions pas trop froid la nuit. Allez, les gars, que chacun prenne sa place pour voir la meilleure répartition possible.

Nous nous étendons sur un immense bas-flanc. Michel, béatement couché sur le dos, découvre des plantes sèches aux poutres :

_ Oh, les gars, nous sommes tombés chez un buraliste…

Au plafond de notre can-ha, notre brave paysan a stocké sa réserve de tuoc-la (tabac). Georges réagit le premier :

_ Sans papier et sans feu, je ne vois pas comment en griller une.

_ Attends, lui répond Dubois, et il sort.

Il est de retour peu de temps après avec du papier journal jauni et un tison encore enflammé.

_ Allez, les copains, on en roule une…

_ Où as-tu trouvé ça ? demande François.

Dubois joue l’étonné :

_ Mais… mais chez notre propriétaire.

_ La putain de lui ! Non content de piquer le tabac du vieux, il a l’estomac de lui demander du papier et du feu…

Dans la chambrée, c’est l’éclat de rire général. Bientôt s’élève un brouillard de fumée. Brouillard que nous partageons avec notre hôte. A sa première visite, c’est-à-dire quelques heures après notre arrivée, notre brave nha-qué prend la sage résolution de faire disparaître son tuoc-la.

Nos contacts avec ces montagnards ne sont ni discourtois, ni très aimables. Nous sentons chez eux une certaine réserve. Il est évident que nous gênons. Nous sommes parfois sollicités pour aider à des travaux légers. Notre aide est toujours récompensée par une part du repas familial. Ce complément de nourriture est pris, sur la demande de notre hôte, en cachette de nos gardes.

Tôt le matin, ces derniers passent dans nos can-ha. Ils activent avec leurs moyens habituels notre regroupement en bon ordre sur la placette du village. Les corvées de bois et d’eau pour la cuisine sont désignées. Nous y participons à tour de rôle. Les autres prisonniers peuvent vaquer à ce qu’ils jugent bon de faire.

Nous profitons de ces moments pour glaner dans les rizières asséchées de la paille de riz afin de rendre notre couche moins dure. Nous préparons dans une touque une infusion de feuilles d’oranger, afin d’améliorer notre ration journalière. Ce n’est malheureusement pas tous les jours que nous pouvons le faire.

Un des responsables du camp nous a fait un jour un laïus sur la nourriture que nous percevons :

_ Votre ration de riz est de 700 grammes par homme et par jour. Cette quantité représente également la ration des combattants de la république démocratique du Viêt-nam. Dans sa bonté, le Président Hô Chi Minh veut que vous soyez traités comme des combattants de la paix. Je vous demande de prendre conscience de l’effort que nous faisons.

700 grammes de riz ? Se rend-on bien compte de ce que représente en volume cette quantité de riz cru une fois cuite ?

Jamais, nous ne trouvons autant de riz dans nos gamelles et c’est toujours le ventre creux que nous finissons nos repas.

Ce riz, cuit à l’eau, sans sel, est agrémenté d’une soupe, un bouillon plutôt, fait de très peu d’herbes, de liseron d’eau et de courge rouge. Une fois par semaine, nagent sur notre bouillon des morceaux de viande de buffle, longs et larges comme deux doigts. Ils donnent souvent prétexte à des disputes.

Nous sommes loin, bien sûr, des 2500 à 4000 calories fixées par la diététique occidentale et nécessaires à notre organisme. Nous complétons tant bien que mal, et plutôt mal que bien, notre alimentation par d’autres moyens. Nous profitons de notre temps disponible pour rendre visite aux paysans dans leurs champs. Nous nous renseignons sur les herbes qu’ils cueillent :

_ Ki-si ? C’est thot-lam ? (qu’est-ce que c’est ? C’est bon ?).

Nous arrivons à nous comprendre, et lorsque ces herbes sont comestibles, nous prélevons un échantillon et nous cherchons dans la forêt la même plante, sans dévoiler aux camarades la source de notre cueillette.

Les jardins reçoivent aussi notre visite, c’est un travail d’équipe organisé ; nous le pratiquons de préférence le soir.

En fait, nous chapardons tout ce qui peut être absorbé.

Un jour, notre propriétaire, après avoir soulevé quelques planches de notre bat-flanc, sort de son silo caché une certaine quantité de paddy, du riz non décortiqué :

_ moi, c’est caché paddy, Viêt-minh c’est pas connaît. Vous, c’est pas parlé Viêt-minh, moi c’est caché paddy.

_ mais non, pépère. N’aie pas peur, on dira rien. Toi, c’est baisé Viêt-minh, c’est très bien.

Nous aidons ce brave homme à remettre en place sa planque en lui promettant le secret. Mais il a jugé bon finalement de changer son silo de place…

Toute notre énergie est axée sur la boustifaille. Nous avons faim, alors chapardons.

Selon l’humeur du chef de camp, la disponibilité du stock, le nombre des punis, la ration journalière varie. Lorsque ces éléments se succèdent, la ration de famine se prolonge, les tiraillements d’estomac deviennent permanents. Plus la ration est petite, plus la tentation de tout absorber est grande.

Le soir, il faut faire un effort pour conserver une petite part pour le lendemain matin, comme petit déjeuner.

Alors on garde un petit quelque chose, pour, au réveil, faire taire un peu la faim. Cette solution n’est pas sans nous donner des soucis. Cette petite part que nous conservons, il faut la garder une nuit entière. Une nuit à dormir en la surveillant, car les plus affamés sont parfois tentés de vous le soustraire. Il y a aussi l’estomac : la nuit, il vous réveille et réclame. La tentation est grande…

Mais si nous mangeons notre petite réserve, comment ferons-nous pour travailler le ventre creux et attendre la prochaine distribution ?

Alors on garde sa faim sans pouvoir dormir. On attend l’aurore pour ingurgiter la valeur d’une tasse de riz froid en guise de petit déjeuner. Le cycle recommence ainsi tout au long des jours, des nuits. Et plus on a faim, plus on parle de bouffe. Et plus on parle de bouffe, plus on a faim. Après la faim physique , nous sommes torturés par une faim psychologique. La Faim ? C’est devenu notre gangrène. Sans soin, elle nous ronge jusqu’à l’obsession.

Cette photographie a été prise un dimanche, au camp n° 2, à Ban Trang.

Après une semaine de travail, les prisonniers sont partis le samedi soir, et de nuit, pour la corvée de riz.

Au retour, le dimanche après-midi, et après avoir effectué la moitié des 60 à 70 km avec une charge de 25 kilos, ils ont été rassemblés par les Viets pour une partie de volley-ball.

C'est ensuite la conférence politique, dans la soirée, avant le retour au commando de Lun Gao où ils arriveront vers deux heures du matin.

Le travail du lundi reprendra avant le jour.

 Photo E.C.P.A.

La photo ci-contre, sur laquelle apparaît le Commandant René THIRION (en bas à droite), montre un groupe d’officiers et de sous-officiers, prisonniers du Viêt-minh, faisant partie du camp n° 1.

C’est par cette photo, publiée dans l’Humanité en 1953, plus de 10 mois après sa disparition survenue le 18/10/1952, dans les combats de Nghia-lô, que sa famille a pu avoir de ses nouvelles.

 Photo « L’Humanité »

 

Documents

"Le 3 octobre 1953, la Musique des Equipages s’est enrichie d’un nouvel instrument : le biniou. C’est un musicien de l’Aéronautique Navale qui l’a embouché, en l’honneur de M. GAVINI, Secrétaire d’Etat à la Marine, lors de la mise à flot des escorteurs rapides « SURCOUF », « KERSAINT » et « BOUVET ».

Au son du biniou, M. GAVINI a déclaré : »Je m’attacherai avec opiniâtreté, à défendre le programme annuel de trente mille tonnes ,que je considère comme intangible, si l’on ne veut pas ruiner le bel effort de redressement dèjà entrepris ».

Le Monde (oct 1953) document transmis par Pierre THOMAS 

Le capitaine de vaisseau Luce de Casabianca

Ce papier qui est paru dans « La Charte » (décembre 2003) et que nous a transmis Pierre THOMAS, Vice-Président de l’AMMAC de CHARMES nous fait vivre , ou revivre si vous recevez cette parution, la vie d’un de nos illustres et brillants Marins, dont le nom est synonyme de courage et d’abnégation.

 
 
« Il n’est rien de plus terrible que la mer pour dompter un homme »

(Homère, l’Odyssée, VIII, 138 ; IXème avant J.C.)

 

Photos anciennes

Ces photos qui font partie d’un album, prêté par Ernest MARION, de l’AMMAC de METZ, concerne les escales faites par un Marin inconnu qui était embarqué sur l’Aviso colonial «REGULUS » entre 1928 et 1932

L'Aviso Colonial RÉGULUS
L'Amiral MOUGET et l'état-major du RÉGULUS
PUTU (Chine) La porte de l’Ile Sacrée
BEPPU (Japon) Le parc de la station thermale
Le croiseur italien « LYVIA » dans le port de KAGOSHIMA (Japon)
HONG-KONG La rade
Caserne de l’armée Britanique à HONG-KONG

 

Le Bulletin "Dans le Sillage des Marins de Lorraine" distribué à nos membres est réalisé par Daniel THIRION, Rédacteur en Chef, aidé des différents auteurs signataires

L'adaptation pour le web est réalisé par Léon ROCHOTTE, webmestre

 
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