L'Histoire de quatre Gardiens de pierre Par Christiane TCHANG-BENOIT Vice-président dhonneur de lAssociation France-Corée (Article paru dans Culture Coréenne N° 57 - Avril 2001)
Les trois gardiens de tombeau coréens (XVIIe siècle) qui ont été acquis par le Musée Guimet Photos: Thierry Olivier/Photothèque du Musée Guimet En juin 1995, j'avais découvert tout à fait par hasard que quatre étranges statues de pierre étaient proposées dans le cadre d'une vente aux enchères intitulée «Pierres d'antan» qui se déroulait à Houdan dans les Yvelines. En feuilletant le catalogue de la vente, je constatai, à ma grande surprise, qu'il s'agissait en fait de quatre gardiens d'un tombeau coréen.Je fus à la fois émue et perplexe,et me demandai comment et après quelles mystérieuses pérégrinationsceux-ci avaient-ils pu atterrirsur le sol français. Ils figuraient au catalogue parmi les quelque quatre mille objets proposés, aux côtés de piliers de vieux châteaux, de fontainesde jardin et statues de pierre de toutes sortes .Le catalogue indiquait «Statues coréennes en pierre, gardiens de tombeau noble provenant de Corée (XVIesiècle). Un certificat sera remis à l'acquéreur» .Ayant participé, quelques années auparavant, à Séoul, à un colloque de l'Association de la Paix par le Droit (septembre 1987), j'étais très sensibilisée au problème de la protection du patrimoine coréen, appauvri par des siècles de pillages et de rapines, et avais bien pris note du fait que la sortie d'antiquités hors de Corée était devenue presqu' impossible; j'étais également au courant de la convention du 14 novembre 1970* et des recommandations de l'UNESCO concernant la protection des patrimoines culturels.Je m'étais donc rendue sur place, à Houdan, pour vérifier si les statues annoncées dans le catalogue étaient bien coréennes et aussi anciennes.Les gardiens de pierre étaient effectivement là, posés sur l'herbe verte et grasse d'une prairie. Environnésde pommiers normands, de quelques statues de dieux grecs ,angelots et autres vieux puits de couvents, ils faisaient vraiment partie d'un étrange tableau. Néanmoins, malgré l'environnement disparate et bien que déracinés, ils avaient conservé leur allure altière, une dignité teintée de mélancolie. Ainsi, les visiteurs passant à proximité leur jetaient en général un regard interloqué, puis se taisaient soudain intimidés ; les pierres, sans doute plus que tout autre objet, gardent toujours une mystérieuse aura. En contemplant ces nobles gardiens de tombeau, manifestement très anciens (ils étaient authentiques et vieux de cinq siècles selon le certificat joint, établi par une galerie d'art), j'eus soudain l'impression de me ret ouver là-bas, au pays de mon Père, et fus en proie à une vive émotion.Je décidai donc de faire quelque chose, d'agiter toutes les sonnettes à ma portée pour attirerl 'attention sur la présence de ces statues en France, afin qu'elles puissent éventuellement être accueillies dans un musée ou acquises par quelque institution coréenne. Dans cette optique, j'eus àl 'époque un entretien passionné avec les représentants du Centre Culturel Coréen à Paris. Mais, malgré une écoute très compréhensive du Directeur du Centre et une démarche faite à Séoul, il semblait difficile de faire quelque chose rapidement, d'autant qu'il y avait en Corée de très nombreuses statues de ce type... Dans la foulée, je contactai aussi Monsieur Pierre Cambon, Conservateur chargé des collectionscoréennes au Musée Guimet, et plaidai de nouveau la cause des malheureux gardiens de tombeau. Là aussi, malgré son vif intérêt, il ne semblait pas facile d'obtenir les crédits de l'Etat rapidement et la date de la vente approchait . . .Toutefois, j'avais au moins réussi à créer une certaine effervescence et à attirer l'attention sur «mes» gardiens de pierre. Ainsi,des journalistes coréens s'étaient rendus à Houdan pour photographier les statues. Le journal Oniva avait également parlé de l'affaire et m'avait ouvert ses colonnes pour un article . . .Néanmoins, bien que tout lemonde fût navré, les gardiens, ne semblaient pas constituer un élément suffisamment important du patrimoinecoréen pour justifier une action exceptionnelle et rapide. Ils allaient donc probablement être vendus à des particuliers et rester en France. Mais la question «où allaient-ils donc atterrir ?» me taraudait vraiment.J'avais appris incidemment qu'un des gardiens allait sans doute partir vers le sud de la France pour orner un jardin de Saint-Tropez ; cela m'avait, à l'époque, beaucoup ému et inspiré les quelques lignes qui suivent, extraites de l'article précédemment cité publié par Oniva :
« ...Il ira orner le jardin méditerranéen d'une ville connue pour son indolence. Pauvre gardien ! Quel sort étrange, après avoir quitté le sol de Corée, ce pays farouchement fermé pendant des siècles et qui, maintenant, par un étrange retour des choses, ne jure que par la modernité. Te voilà désormais dansle sud de la France, si loin de ton sol natal, offert à tous les regards ,devant une mer languissante qui connut la civilisation grecque et romaine...Je souhaite que ton regard trouble ton propriétaire riche et blasé, qui voulait sans doute épater ses amis par un peu d'exotisme. Dans mille ans, peut-être, quelques chercheurs se creuseront la tête et écriront de savantes thèses pour expliquer comment tu as échoué à Saint - Tropez . . . »
La vente eut finalement lieu.
L'une des statues fut acquise par un antiquaire du quartier latin et je n'eus pas d'informations à propos des autres. Cinq années s'étaient écoulées depuis, le silence et l' oubli avaient recouvert cette histoire qui m'avait laissé tant d'amertume .Et puis, un jour, ce fut soudain le miracle ! Lors de la réception annuelle de l' Ambassade de Corée,en octobre dernier, je vis venir à moi avec un large sourire l'excellent Monsieur Cambon et sa charmante épouse coréenne. « Vous allez être contente », me dit-il, « nous avons quand même pu acquérir les statues des gardiens de tombeau, elles seront présentées dans le nouveau Musée Guimet qu'elles garderont désormais» .Quelle joie ! Je fus vraiment touchée de voir que Monsieur Cambon avait été sensible à la détresse des pauvres statues exilées et que son intervention et son attachement à la culture coréenne avaient permis que celles-ci soient accueillies dans un lieu ou la beauté et l'art règnent en maître, à savoir le nouveau et superbe Musée Guimet. Deux gardiens de pierre coréens se dressent donc maintenant dans le hall du prestigieux musée,un de chaque côté de l'entrée.Le troisième est, lui, posté dans la cour intérieure du dernier étage, d'où il porte un regard bienveillant sur les salles d'art coréen. Pouvait-on imaginer meilleur destin pour ces trois gardiens qui, après avoir veillé pendant des siècles sur un noble tombeau de Chosoùn, ont traversé la mer pour prendre en charge la garde des plus beaux trésors culturels d'Asie que l'on trouve en Occident !
* La France a ratifié cette convention le 7 janvier 1997, (entrée en vigueur le 7 avril 1997).
Christiane Tchang-Benoît
(France-Corée, Janvier 2002 - webmestre: france-coree.lcr@wanadoo.fr )
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