LI Ogg

 

Il est des hommes dont la stature et l'importance n'apparaissent qu'après la mort. M. LI Ogg (YI Ok), décédé à Paris le 28 juillet dernier, est peut-être de ceux-là. Il était né à Séoul le 8 novembre 1928, aîné d'une nombreuse famille, d'un père avocat, YI In, qui allait se distinguer, à l'époque japonaise, dans le combat pour la Société d'études de la langue coréenne (Joseon -Choson- hakhoe) et qui, après la Libération, allait être un temps ministre de la Justice. Il avait fait des études d'histoire à l'université Yonsei à Séoul, où il était, en 1955, jeune enseignant d'histoire des États-Unis, quand il accepta un poste de lecteur à la Sorbonne, pour inaugurer en janvier suivant l'enseignement du coréen en France.

Il devait rester toute sa vie dans ce pays. Il s'y spécialisa, sous la direction du japonisant Charles Haguenauer, dans l'histoire ancienne de la Corée. Après une thèse de troisième cycle sur le Samguk sagi (Mémoires historiques des Trois Royaumes, 1145), il choisit de se consacrer plus particulièrement à l'histoire du royaume du Nord, Koguryo (Goguryeo). Sa thèse de doctorat d'État, soutenue en 1977, "Recherche sur l'antiquité coréenne, Ethnie et société de Koguryo", éditée au Collège de France en 1980, en est, en traduction coréenne, à sa troisième édition. Ce livre a fait souffler un air nouveau dans le débat sur les origines du peuple coréen. Précision des citations, rigueur des analyses, liberté par rapport aux idées reçues, prudence critique, comparaison avec les données archéologiques, non seulement de Corée, mais aussi de Chine, du Japon et d'ailleurs, accent mis sur l'histoire des mœurs et de la société, tout cela fait de Li Ogg un grand historien. Il a encore consacré au même sujet pas moins de vingt-cinq articles, en coréen et en français, qui attendent d'être peut-être un jour réunis en un volume.

Li Ogg eut aussi à cœur d'écrire pour un public plus large. Il a notamment écrit, après un premier Que sais-je? (1969), une Histoire de la Corée en français (1989), dont l'accueil ne fut malheureusement pas à la hauteur de la peine qu'il s'était donnée.

En dépit de sa compétence et de ses charges de famille, Li Ogg resta longtemps et courageusement simple lecteur à la Sorbonne et à l'École des Langues orientales. Il dut attendre 1970 pour être promu maître-assistant de la nouvelle université Paris VII, où il fonda une Section d'études coréennes, et 1983 pour y être nommé professeur. Historien chargé d'enseigner la langue, il sut se donner par son travail la compétence linguistique nécessaire à cette tâche. Li Ogg tint aussi,pendant de nombreuses années, un double séminaire (dit "conférence") d'histoire ancienne de la Corée aux IVe et Ve sections de l'Ecole pratique des Hautes études. Sans être vraiment un pédagogue, il enseignait d'une manière détendue. Ses cours et conférences devenaient fréquemment des conversations décousues mais riches d'enseignements.

Li Ogg savait découvrir et attirer à lui les jeunes talents. La floraison actuelle de coréanisants français lui est due pour une grande part.

Les études coréennes en France n'auraient pas connu le développement qu'elles ont connu sans une importante aide financière. C'est encore sur Li Ogg que chacun de nous se reposa longtemps pour obtenir à Séoul, à partir de la fin des années 70, d'abord de la fondation Sanhak et, plus tard, de la fondation de la Recherche, au prix de multiples et souvent fastidieuses démarches, les subventions sans lesquelles la plupart de nos activités et publications eussent été impossibles. En sa qualité de directeur du Centre d'études coréennes du Collège de France, il se servait de cet organisme pour centraliser les demandes et redistribuer l'aide reçue.

Li Ogg, qui avait pris ce rôle très au sérieux, eut vite à l'étendre de la coréanologie française à celle de toute l'Europe. Il avait été, en 1976, l'un des pères fondateurs (1) de l'Association pour les études coréennes en Europe (sigle anglais : AKSE), qui fut créée officiellement l'année suivante. C'est lui qui, dans les débuts difficiles de cette organisation, réussit ensuite à lui gagner en Corée les appuis et les soutiens nécessaires.

Son œuvre, qui se continue désormais sans lui en France et en Europe, reste comme le meilleur hommage qui puisse se rendre à sa mémoire.

Daniel Bouchez, 14 Août 2001

(1) LI Ogg fut également un des Pères fondateurs de l'Association France-Corée

Digital Korea Herald (DR)
Korea Herald 2 février 2002
Association France-Corée : webmestre, février 2002.

 

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