"Mémoires d'une Reine de Corée" de Dame Hong Traduction par Mme CHOE Wall et Claude BOUYGUES avec la participation de Christiane TCHANG-BENOIT Vice-présidente d'honneur Association FRANCE-CORÉE Préface de Marc ORANGE (Editions Picquier 1996 - 190 pages)
Commentaire par M. Jean HOURCADE Ancien attaché culturel auprès de l'Ambassade de France à Séoul, Ancien Vice-Président de l'Association France-Corée Ces mémoires de Dame Hong, qui fut l'épouse de celui qui allait devenir le 22ème roi de la Dynastie Yi au milieu du XVIII ème siècle, sont à la fois un document historique précieux et une uvre littéraire de premier plan, à classer parmi les grandes uvres du genre, comme en France les textes de Saint-Simon ou de Christine de Pisan.
Mais ici l'auteur est un des acteurs du drame, ce que ne sont pas toujours les mémorialistes témoignant pour un prince.
Ce texte est un très bon révélateur de l'identité coréenne à beaucoup d'égards:
D'abord pour sa description très précise des usages de la société confucéenne: le choix de l'épouse, les rites de passage, !'atmosphère (étouffante) de la cour, le respect dû au père et au beau-père en toutes circonstances, même dans les pires extrémités puisqu'il ne s'agira de rien moins que la mise à mort d'un fils par son propre père, en punition de ses exactions et de ses crimes.
Ensuite par la présence constante au travers du récit des "puissances d'en haut" du taoïsme, qui déterminent les naissances et les morts, et qu'il faut craindre. Elles sont même la cause première de la folie de cet époux royal que le simple idéogramme "tonnerre" précipite face contre terre. Mais surtout par ce que les Espagnols (Miguel de Unamuno) appelleraient le "sentiment tragique de la vie" qui me semble caractériser tellement la psychologie coréenne.
Voici une jeune femme noble, unie formellement dès !'enfance au fils du roi, qui dès sa quatorzième année entreprend de donner un héritier à la couronne, puis un deuxième fils, puis deux filles: tout serait un conte de fée si les forces du mal, ne venaient troubler Ie cours des choses. La démence, de plus en plus sanguinaire de l'époux, qui entraîne son exécution, sur ordre du roi son père. Et tout au long de sa vie: mort d'un enfant, maladies, incendies, meurtres.
À aucun moment pourtant Dame Hong ne se révolte: on sent à chaque phrase paraître son chagrin et même sa colère, mais toujours elle se dominera, toujours elle excusera. Elle rendrait grâce, presque ("Tout est grâce" aurait écrit Bernanos).
Son uvre est une apologie, celle de son époux princier, celle de son beau-père. Elle tient à ce que la postérité les ait en miséricorde: "ne jugez pas!".
L'écriture est exceptionnellement élégante, très bien servie par le traducteur. Voici une traduction qui ne sent pas la traduction (Foin de ces "honorables ceci" et autres hyperboles, habituelles dans beaucoup de textes trop littéralement traduits). Ce texte pourrait sortir de chez Mme de la Fayette, très féminin dans l'observation des sentiments et des détails.
Ecoutez :
"Le même jour; le roi, la reine et Dame Sonhui reçurent mon père en audience privée au palais T'ongmyong-jon. Ils lui parlèrent avec cordialité et lui offrirent une coupe de vin, qu'il accepta; il le but et versa les gouttes qui res taient dans la manche de son habit. Il prit aussi quelques pépins de citron disposés sur la table et les enfouit sous son habit sur sa poitrine. Le roi me fit remarquer que Père avait montré par là sa parfaite connaissance des règles du savoir-vivre, ce qui eut pour effet d'émouvoir mon père jusqu'aux larmes. Il se retira ensuite et déclara à la famille: "Pour de telle faveurs venant du roi, nous devons être prêts à donner nos vies".
Ou bien encore :
"Peut-être le prince aurait-il dû rester l'enfant aimant qu'il avait été malgré l'attitude de son père; peut-être aussi le roi aurait-il dû témoigner plus d'affection au prince en dépit des réserves qu'il avait à son endroit. Toujours est-il que les rapports s'envenimèrent sans raison précise. Je pense que c'était le signe de la fatalité et de la volonté du ciel et qu'aucune volonté humaine ne pouvait aller contre. D'un autre côté, le souvenir de tout ce dont je fus témoin est vivace en ma mémoire, et la détresse gravée en mon cur; aussi, je ne peux que retracer la réalité des faits, même si je me sens coupable de le faire. Il apparaît en effet que le roi Yongjo et son fils le prince héritier ont tous deux manqué de vertu l'un envers l'autre. Je suis étranglée d'émotion en écrivant ces lignes."
Parce qu'elle nous révèle avec minutie, presque avec cruauté, un milieu précis en un siècle précis, Dame Hong témoigne de l'universalité de la condition humaine. L'universalité, ce n'est pas le "mondialisme" à la mode. C'est plutôt la communauté de destin à travers les enracinements de chacun.
Jean HOURCADE
(France-Corée, Février 2002 - webmestre: france-coree.lcr@wanadoo.fr )
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