" VIVRE EN GUERRE "
Éditions PHÉBUS, sous la direction de Myriam GAUME Sortie : 14 février 2003

Il s'agit d'un ouvrage publié aux Editions Phébus, sous la direction de Myriam Gaume, réalisé par des grands reporters travaillant depuis longtemps sur certaines régions chaudes du monde.

Parmi des textes évoquant la vie quotidienne dans des pays ayant connu ou connaissant toujours la guerre (Afganistan, Arménie, Algérie, etc.), Frédéric BOULESTEIX propose un ensemble de vingt portraits de Coréens de Séoul ou de province, évoquant au fil de nombreux dialogues leur mémoire et leurs rêves.

Ces textes sont nés de rencontres singulières et tentent, en 45 pages, de faire découvrir une Corée autre, d'autres images que celles que nous rencontrons trop souvent dans les médias. Y sont évoqués au détour des paroles et des temps de silence l'impermanence des choses, les âmes-esprits prises dans les morsures du temps, le plein air des vieilles traces vagabondes, le travail de l'absence aujourd'hui encore, les petits bouts de la vie qui s'accrochent à la ville et à ses souvenirs, les combats avec la terre, entre chien et loup...


"Corée, mémoire et rêves" (Extrait de "Vivre en Guerre" : Introduction coréenne)

"Si la guerre, la division, la dictature, les crises économiques disparaissent un jour du paysage médiatique, simplement comme l’écume ou les nuages, pour faire place à d’autres épisodes, on sait qu’elles laissent toutefois derrière elles des empreintes intérieures, profondes. C’est cela, le temps qui passe. C’est cela aussi, les rêves qui disparaissent. Tout comme le rappel des choses anciennes, plus tard. Les souvenirs qui nous en restent. Les joies d’autrefois, les coutumes oubliées des villages et des quartiers anciens, d’autres manières d’être et d’avoir. On les retrouve toujours quelque part, dans un lieu retiré de la ville d’aujourd’hui, dans les reflets d’une échoppe, les bruits d’un vieux métier, un coin lointain du corps. On les découvre alors, si on y prend le temps, dans les paroles inscrites aux fibres des jours nouveaux.

Ces vingt rencontres, parmi tant d’autres, ne témoignent pas de la Corée que l’on nous donne habituellement à voir. Rien là d’exceptionnel, mais le signe que derrière les images il y a, plus cruels ou plus drôles, d’autres malheurs et des joies différentes.

Une envie surtout très forte de les revivre par la parole et de les donner en partage. Une Corée de la ville où les campagnes restent vivaces. Une Corée des villages qui s’ancre profondément dans les sols. Une Corée aussi du ciel, de ses mystères et de leur magie. Une Corée des vides et des regrets de tous les jours. Une terre de songes et d’espoir aussi, derrière la masse des monuments et l’éclat des événements. Malgré leurs différences, ces témoignages ont été ici associés dans l’idée qu’ils évoquaient tous, par des déclinaisons variées, une expression chaque fois personnelle de la mémoire mais aussi du rêve, tous les deux vécus au quotidien. Un fil rouge comme un autre dans les mailles des jours, où l’on découvre les liens entre jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, monde des humains et monde des esprits. Ensemble, ces paroles participent, elles aussi, à la Corée du Sud d’aujourd’hui et à la singularité de son actualité."

Frédéric BOULESTEIX (1)


"VIVRE EN GUERRE"

Nous avons tous tendance, malgré les démentis quotidiens, à considérer que le monde depuis 1945, à quelques regrettables exceptions près, est globalement en paix. Ceux qui ont pris la peine de voyager hors des circuits balisés du tourisme savent qu'il n’en est rien. Certes la guerre déclarée dans les formes est rare aujourd’hui, mais il existe un peu partout des guerres « impossibles à déclarer » qui n’en sont pas moins réelles et dont les victimes se chiffrent vite par dizaines de milliers voire par centaines de milliers ; et, par-delà ces « guerres » qui n’osent pas dire leur nom, des situations de violence politique, ou tout simplement de violence urbaine qui se trouvent être bien souvent aussi brutales, aussi dévastatrices que des conflits ouverts. On n’en parle guère, sinon chaque fois qu’un « incident » hors de l’ordinaire risque d’avoir quelque répercussion à l’échelle internationale ; le reste du temps, notre bonne conscience ou notre distraction laissent faire les choses, en toute ignorance de cause. Et pourtant en cent lieux plus ou moins oubliés de la planète, on vit aujourd’hui dans la violence ordinaire : qu’il s’agisse de conflits locaux qui s’éternisent jusqu’à se banaliser, ou de situations de non-droit qu’on a laissé s’installer par fatigue ou par indifférence et contre lesquelles bientôt on ne peut plus rien. Qu’un attentat répande l’horreur, qu’un bombardement, une bataille rangée soient signalés ici ou là : aussitôt toutes les caméras du monde se braquent sur le nouveau «point chaud» et nous recevons notre ration journalière ou hebdomadaire d’images sanglantes. Mais que savons-nous de la vie du milliard d’hommes et de femmes qui vivent autour de ces points chauds… et pourtant dans la violence constante ? Car en ces lieux aussi, et malgré l’horreur imposée à chaque instant ou presque, on vaque à des occupations «ordinaires» : on sort faire ses commissions, on fait la queue aux guichets, on se retrouve au coin de la rue entre jeunes, on fait la fête, on dort, on mange, on rit, on fait des enfants ou des projets… C’est cette réalité-là – ou quelques-unes de ses facettes – que les textes ici recueillis voudraient donner à voir, à sentir, à partager. La modeste révélation qu’ils nous apportent, pour limitée qu’elle soit (encore que le lecteur ait ici bien des occasions de tomber à la renverse, tant l’incroyable fait partie de cette réalité extrême), n’aidera peut-être pas ceux qui sont le plus directement concernés à se tirer du piège qu’est devenu leur vie, mais elle permettra au moins à quelques-uns d’entre nous d’y voir un peu plus clair – ce qui peut être, veut-on croire, le début de bien des choses…

Le «tour du monde» que Myriam Gaume et ses amis écrivains ou reporters nous proposent ici n’est certes pas complet, au moins nous entraîne-t-il assez loin de notre réalité surprotégée :

- Jean-Pierre Perrin (Libération) nous fait découvrir un Afghanistan inconnu, où l’entêtement à vivre prend des formes inédites ;

- Mylène Sauloy (Arte) nous fait partager les bons et les mauvais jours d’une femme de la campagne colombienne, pour qui les notions de paix ou de guerre ont fini par s’effacer dans une étrange indistinction ;

- Olivier Weber nous introduit aux mystères sidérants de Karachi (15 millions d’habitants), réputée aujourd’hui comme la ville la plus violente du monde ;

- Frédéric Boulesteix, universitaire qui a longtemps vécu en Corée, dresse le portrait d’un pays qui n’a cessé, un demi-siècle durant, d’être en guerre dans sa tête ;

- Éric Sarner (Arte) ausculte, d’un bout à l’autre du territoire d’Israël, des gens qui apprennent à vivre à l’heure de la peur ;

- Martine Gozlan (Marianne) nous invite à suivre à travers la Casbah d’Alger Laadi Flici, médecin et poète, gardien d’une mémoire tolérante que l’Histoire assassine tous les jours sous nos yeux ;

- Jean-Pierre Campagne suit, le long de la « Route de Zanzibar », l’exode hagard des populations déplacées d’Afrique centrale, à qui la guerre a tout pris, même leur identité ;

- Martine Gozlan (encore) nous montre un Irak bien différent de celui que nos politiques dressent pour nous en épouvantail sans vraiment le connaître ;

- Jean-Christophe Rufin (sa participation à l’ouvrage dépend encore de son emploi du temps) se propose de revenir sur les aspects les moins connus des interminables conflits qui ont bouleversé l’Éthiopie et l’Érythrée ;

- Mylène Sauloy passe ensuite en Tchétchénie ou la guerre a peu à peu modifié la couleur même de l’existence ;

enfin Myriam Gaume nous propose deux incursions pleines d’empathie chez ceux du Kosovo et chez les montagnards du Haut-Karabakh – où les grand-mères commencent à trouver que les kalachnikov sont bien lourdes pour leurs vieux bras…

Horreur, révolte, étonnement, mais aussi tendresse, humour – espoir même – se partagent ces textes qui ne prétendent ni juger ni donner aucune leçon : simplement nous rappeler que nous ne savons pas grand-chose de ce qu’on appelle la vie.


 (1) Frédéric BOULEISTEX est un des principaux animateurs des "Cahiers de Corée"

FRANCE-CORÉE - L.ROCHOTTE Février 2003


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