IVRE DE FEMMES ET DE PEINTURE Le nouveau film d'IM Kwon-taek aux sources du génie créateur
Ivre de femmes et de peinture Sélection officielle au Festival de Cannes 2002 Compétition. Film coréen d'Im Kwon-taek. Avec Choi Min-sik, Ahn Sung-ki (1 h 57) Par Jean-François RAUGER Directeur de la programmation de la Cinémathèque française
Im Kwon-taek, couronné lors du Festival de Cannes 2002 par le Prix du Jury, pour son film Ivre de femmes et de peinture
Cette consécration méritée, rappelons-le, fut lente. Y contribuèrent l'hommage rendu au cinéaste par le Festival des Trois Continents en 1989, la grande rétrospective consacrée au cinéma coréen par le Centre Georges Pompidou en 1993, enfin la représentation par la Cinémathèque française en juin 2001 de dix-sept films du cinéaste en sa présence, avec le soutien actif du Centre culturel coréen. Le cinéaste vit, avant cela, quelques- uns de ses films sélectionnés aux Festival de Berlin et de Venise.
Ivre de femmes et de peinture est le second film d'lm Kwon-taek montré en compétition officielle au Festival de Cannes. Le premier était également le précédent dans la filmographie du cinéaste, Le chant de la fidèle Chunhyang pré- senté en 2000.
Cette reconnaissance, pour tardive qu'elle soit (le cinéaste a commencé à tourner au début des années 60 mais c'est à la fin des années 70 qu'il estime lui-même avoir commencé à réaliser des films personnels) en fait désormais un auteur international, couronné par surcroît, cette année à Cannes, par le Prix du jury.
D'une certaine manière, face aux innovations formelles et aux partis pris esthétiques très affirmés de la plupart des titres présentés en compétition dans l'édition 2002 du Festival de Cannes, le nouvel opus d'lm Kwon-taek a pu paraître paradoxalement minoritaire dans sa manière de s'incliner devant son sujet et d'en proposer une lecture limpide, a contrario des uvres qui auront cette année fait mine de raconter une histoire avant de dévoiler des enjeux plus souterrains, détachés de ce qui était immédiatement lisible et visible.
Ivre de femmes et de peinture est une biographie filmée. Celle d'un personnage hors du commun que le récit confronte à l'évolution historique de la Corée dans la deuxième moitié du XIX. siècle. Le peintre Ohwon est né en 1843 et a disparu en 1897, D'origine roturière, il a petit à petit, après une enfance et une jeu- nesse rudes et misé- rables, atteint la célébrité et la reconnaissance, jus- qu'à se voir confier une série de commandes par le roi mais sans jamais pourtant pouvoir prétendre à un authentique anoblissement social, empêché à la fois par ses origines modestes et son comportement individualiste et anticonformiste.
S'agit-il d'un portrait de l'artiste par lui-même? Il est en tout cas facile de constater que l'histoire et la culture coréennes sont au cur du cinéma d'lm Kwon-taek, acharné à filmer, avec une prolifique hétérogénéité (Ivre de femmes et de peinture est donc son 98e film) à la fois l'histoire de son pays et les constructions imaginaires qui déterminent et modèlent la culture coréenne. De ce point de vue là, du moins à partir de ce que l'on a pu juger de sa filmographie pléthorique, il n'y a pas chez l'auteur de La mère porteuse de petits ou de grands sujets mais toujours une manière de replacer l'existence des individus au cur d'un mouvement qui les englobe et les dépasse.
Son goût pour les femmes et l'alcool était, en effet, devenu légendaire. Ohwon aura été le témoin des bouleversements d'une Corée touchée par la confrontation entre la tentation d'un changement vers le progrès et la persistance du féodalisme. Le personnage devient le témoin du déclin de la dynastie Choson et de la révolte populaire qui allait s'opposer aux revirements d'un royaume cherchant à tirer avantage d'une série d'alliances avec les puissances impérialistes.
Choi Min-sik (Ohwon)
Le héros de son nouveau film est au centre d'une contradiction forte. Son génie lié aux circonstances historiques en fait un personnage majeur de l'identité culturelle de son pays. Mais comment peut-on être à la fois un artiste national et affirmer la sin- gularité imprescriptible de toute véritable uvre d'art? Ohwon est donc partagé entre la reconnaissance d'une filiation (ses relations avec son maître). ainsi que l'appartenance à un grand tout historico-social (la Corée entrant lentement et dans le chaos et dans le monde moderne) et la volonté d'affirmer son individualité créatrice. Après le Pansori et la façon dont lm Kwon-taek intégrait ce chant traditionnel dans une fiction cinématographique pour en saisir l'esprit (Le chant de la fidèle Chunhyang) , c'est donc à la peinture ou plus exactement à la manière de fixer et de transmuer les formes et les couleurs de la réalité que s'attaque son nouveau film. L'ébouriffante beauté plastique d'Ivre de femmes et de peinture trahit évidemment le projet du cinéaste de rivaliser avec son propre personnage. La lumière, la texture des éléments, l'organisation sémantique des couleurs des costumes rituels sont les sujets d'un film qui, grâce à la précision de la mise en scène, effleure même une abstraction fascinante que l'on doit aussi à Jung II-sung, le fidèle directeur de la photographie du réalisateur.
C'est avec la description de l'érotomanie débridée d'Ohwon que le film retrouve le cur de l'art d'lm Kwon-taek. L'énergie sexuelle est en effet le moteur des actions du héros, tout comme elle a souvent constitué la détermination des actions des êtres qui peuplent l'univers du cinéaste. Le jaillissement des formes sous le pinceau du peintre est, de façon limpide, rattaché à un déchaînement libidinal. Le plan furtif de quelques gouttes de sperme, après un coït effréné et interrompu du héros et d'une prostituée, vient littéralement souligner cette dimension. L'unique et véritable sujet du cinéma d'lm Kwon-taek.
Jean-François RAUGER
Extrait de la revue "Culture Coréenne" N°61 - Août 2002 Directeur de la publication: SOHN Woo-hyun Rédacteur en Chef: Georges ARSENIJEVIC Centre Culturel Coréen - Ambassade de Corée en France FRANCE-CORÉE - L.ROCHOTTE Octobre 2002
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