France - Corée 120

Entretien avec Chérif Khaznadar

 

Directeur de la maison des cultures du monde à Paris

Membre du comité du 120ème anniversaire des relations diplomatiques franco-coréennes (2006)

 
1. Comment en êtes vous venu à consacrer votre vie aux échanges culturels ?
2. Qu’est-ce que la maison des cultures du monde ?
3. Que pensez-vous des échanges culturels franco-coréens à l’occasion des échanges de 2006 ?

 

1. Comment en êtes vous venu à consacrer votre vie aux échanges culturels ?

 Comment j’en suis venu là, c’est une très très longue histoire… Il se trouve que je suis moi-même un produit du métissage puisque mon père est syrien et ma mère française. Donc j’ai été élevé dans les deux cultures et dans les deux religions : j’allais le vendredi à la mosquée et le dimanche à la messe.

 A 18 ans j’ai été aux Etats-Unis pour apprendre l’anglais dans un programme d’échange d’étudiants et là, je crois, que le déclic s’est fait. En tant qu’étudiant qui arrivait du Moyen-Orient, à l’époque nous étions un peu perçus comme des sauvages qui commençaient à inquiéter l’Occident…

Donc on allait le soir dans des familles pour parler chacun de nos cultures de différents pays du monde et la première question qu’on m’a posée, c’était une dame américaine qui m’a demandé : «What do you eat for breakfast ?». Alors je répond : «Ma mère me fait du café au lait avec des tartines…» - Déception – En y réfléchissant je me suis dit que ce n’était pas la réponse qu’elle attendait et en fait, elle attendait de moi que je réponde de mon côté syrien, et non pas de mon côté français comme j’en ai eu le réflexe. Alors je me suis remémoré ce que mes camarades syriens mangeaient et petit à petit je me suis souvenu des petits déjeuners traditionnels syriens.

 J’ai écrit à mon père, je lui ai demandé des renseignements sur ma culture, sur l’autre versant de ma culture que je connaissais moins bien que ma partie occidentale et à mon retour, quelques mois plus tard, j’ai commencé à redécouvrir le pays où j’étais né et où j’ai vécu 18 ans sans l’avoir vraiment vu. Je pense que c’est là qu’a été le déclic de savoir qu’on ne pouvait dialoguer avec l’autre et mieux connaître les siens qu’en étant différent. Et c’est un peu ce qui a dicté par la suite toute ma conduite, c’est la recherche de la différence.

 Comment peut-on être différent ? Pourquoi est-on différent ? Qu’est-ce qui fait qu’on puisse rester soi-même tout en étant ouvert vers l’autre ? Parce que le danger de cette démarche – et ça je m’en suis rendu compte assez rapidement – c’est que cette recherche de soi, de ses racines, de ses identités, peut amener à l’exclusion de l’autre, au renfermement sur soi alors que la démarche que je souhaitais faire était tout le contraire : c’était pouvoir communiquer avec l’autre parce que nous étions différents et parce qu’il y avait une nécessité de ces échanges. Et quand on parle aujourd’hui de dialogue des cultures, moi je dis qu’avant le dialogue il faut la connaissance de l’autre et qu’il n’y a pas de dialogue possible sans connaissance de l’autre. On s’en rend compte aujourd’hui à travers tous les conflits à travers la terre, il y a une profonde méconnaissance de l’autre. On croit connaître quelques aspects.

 Nous avons depuis longtemps ce besoin de chercher en l’autre aussi le connaisseur, l’expert, etc. Donc souvent on m’a posé la question : «Ah vous avez été tant de fois dans tel pays, vous êtes un expert …» et je réponds : «Non, je ne connais pas». Et plus je voyage, plus je découvre des cultures, plus je me rends compte que je ne connais rien. En fait on ne peut pas connaître un pays, on ne peut pas connaître une culture. En prenant l’exemple de l’Inde par exemple, on peut y vivre sa vie mais on ne connaîtra pas l’Inde. C’est tellement immense, il y a tellement de différences …

 On a trop tendance à généraliser, à globaliser : on connaît une parcelle d’une culture ou d’un territoire et à partir de là on généralise : «L’Inde c’est comme ça…, la Corée c’est comme ça …» et c’est ce qui nous pousse à sortir des sentiers battus, des clichés, et à chaque fois d’amener notre interlocuteur à se reposer la question de sa connaissance, de l’amener à prendre conscience du fait que plus on connaît de choses et moins on en connaît.

 

 

2. Qu’est-ce que la maison des cultures du monde ?

 Mon parcours a été en fait toute une série de hasards, de rencontres qui font que les choses ont poursuivi leur cours sans préméditation, je dirais. C’est comme ça que j’ai été en Tunisie, je dirigeais un centre culturel international à Hammamet, j’avais 24 ans. J’avais été amené là par hasard aussi. Emile Basini, le directeur de l’action culturelle de Malraux, alors Ministre de la Culture, était de passage dans le centre. Pendant quelques jours nous avons sympathisé et en partant il m’a dit : «Nous sommes en train de créer des maisons de la culture en France …» - il m’a expliqué ce concept de maison de la culture – «… et je vous verrai bien en diriger une. Quand rentrez-vous ?».

 Quelques années plus tard, je suis rentré et Emile Basini n’était plus au Ministère de la culture qu’il avait créé avec Malraux, mais directeur de la télévision. Je suis donc allé le voir et il m’a proposé de travailler avec lui pour m’occuper de toute une partie des programmes concernant le Moyen-Orient pour faire connaître cette région du monde par la télévision. Il m’engage donc le 1er mai 1968. C’est une date de première embauche que je ne peux pas oublier. Donc je commence à travailler en mai alors que tout le monde était en grève et quelques jours plus tard, il quitte sa direction de la télévision et moi j’y reste 6 ans et je m’occupe du services des dramatiques, de la sélection des feuilletons pour la chaîne unique de l’époque : l’ORTF, jusqu’au moment où j’ai voulu revenir à l’action culturelle.

 Je me suis donc adressé au Ministère de la Culture et j’ai obtenu le poste de directeur de la maison de la culture de Rennes. J’ai par la suite dirigé cette maison pendant 10 ans et là, dès mon arrivée, j’ai créé un festival : le festival des arts traditionnels. J’ai pris mes fonctions en janvier et en mars nous inaugurions le festival en faisant venir des choses que j’avais vues à travers le monde à l’occasion de congrès, de rencontres, pour l’UNESCO ou pour l’institut national du théâtre : des personnages et des spectacles qui pour moi étaient tout à fait fabuleux et qu’on n’avait pas vus en France. On a donc regroupé tout ça sur un festival qui a duré une dizaine de jours. Cela a beaucoup intéressé la presse. C’était en 1974, il y a 30 ans, et depuis nous n’avons pas arrêté de faire ça et il y a encore plein de choses à découvrir !

 Donc c’était un peu le démarrage de cette action internationale. Ce festival des arts traditionnels a continué tous les ans pendant 10ans, il a pris de l’ampleur, il a fini par être connu, localement, nationalement, internationalement et en 1982, lorsque la gauche arrive au pouvoir en France, le budget du Ministère de la Culture est doublé et Jack Lang recherche des projets. Je vais donc le voir et je propose de créer à Paris une maison des cultures du monde qui accueillerait les cultures de l’étranger dans la mesure où à cette époque - et je crois que se trouvait là l’enjeu vraiment décisif - la France exportait beaucoup sa culture mais accueillait peu. On était toujours prêt à proposer la comédie française et d’autres choses, mais lorsque le partenaire du pays souhaitait proposer une troupe de ballets, du théâtre ou de la musique, la France ne possédait pas de lieu pour les accueillir et l’on pensait que le public ne s’y intéressait pas, etc.

 Donc on a créé cette petite maison des cultures du monde dans le but de pouvoir répondre à ces demandes et rétablir l’équilibre de ces échanges. Nous avons commencé nos activités en 1983. Progressivement nous nous sommes rendus compte que ces musiques, ces spectacles, ces œuvres d’art plastique qui venaient de l’étranger, avaient un public qui est venu progressivement et, surtout, beaucoup de professionnels ont commencé à s’intéresser à ces formes. Assez vite, on a donc vu cette action se répandre comme une tâche d’huile et d’autres institutions programmer des formes qui venaient de l’étranger.

 Il y 5 ans, nous avons fait un guide des institutions en France qui avaient dans leur programmation régulière tout ou partie consacrée à des formes venues de l’étranger. Nous étions alors arrivés à un total de 387, ce qui veut dire qu’en 20 ans, l’évolution en France a été spectaculaire et aujourd’hui il y en a beaucoup plus. On peut considérer aujourd’hui que Paris est la ville qui reçoit le plus de manifestations culturelles étrangères, qui est la plus ouverte sur l’activité culturelle des autres pays du monde.

 Aujourd’hui à la maison des cultures du monde, je retrouve toujours ce qui me préoccupe le plus : ce cliché. On a vu par exemple Nusrat Fateh Ali Khan devenir le symbole de la musique au Pakistan. Nous avons alors expliqué que Nusrat Fateh Ali Khan est Qawal et qu’au Pakistan il existe plus de 700 groupes de Qawal, tous différents. Le Qawali est une des centaines de formes de musique existant au Pakistan. Donc on avait un cliché d’une forme qui occultait toutes les autres.

 Ce que nous essayons de faire c’est d’ouvrir d’autres portes, de montrer qu’il n’y a pas que ça, qu’il existe beaucoup d’autres choses. La culture française ne se limite pas à Edith Piaf. C’est exactement le même cliché. On a tendance à mettre sur les cultures ce genre de clichés. Alors on continue à défricher, à chercher d’autres formes.

 

 

3. Que pensez-vous des échanges culturels franco-coréens à l’occasion des échanges de 2006 ?

 C’est comme ça qu’en 1976, nous avons accueilli au festival des arts traditionnels à Rennes des troupes coréennes. A l’époque, personne ne connaissait la Corée. On connaissait un peu la Chine, le Japon, et on pensait que la Corée serait comme ces 2 pays. Puis on s’est rendu compte que la Corée possède une culture totalement différente. On s’est alors dit qu’il fallait aller plus loin dans la présentation de la Corée parce qu’il existait déjà des échanges avec la Chine et le Japon ainsi qu’un début de connaissance : c’était, avec l’Inde, les 2 pays qui au début du siècle avaient déjà commencé à faire connaître certains aspects de leurs cultures avec le musée Guimet, les amis de l’Orient, etc. Alors que pour la Corée, il n’y avait rien. Donc progressivement, avec la complicité de Kim Jeong-Ok, qui est devenu un très grand ami, on a commencé tous les ans à inviter des artistes coréens de différentes formes pour des publics extrêmement réduits, il y avait très peu de monde. Mais les bonnes choses commençaient à se faire connaître et progressivement le public a augmenté.

 Lorsque nous avons ouvert une maison des cultures du monde à Paris pour une des premières programmations, le premier mois de l’ouverture, on a décidé de présenter un pansori. Un pansori intégral de 9 heures. On a invité une très grande chanteuse de pansori pour présenter cette soirée complète et j’avais réussi à convaincre France Musique de retransmettre cette soirée. Donc de 9 heures du soir à 6 heures du matin, nous présentions le pansori. Je ne vous dit pas l’état de la salle à minuit… Soudain on a appris qu’il y avait de très gros problèmes de retransmission avec la radio et qu’ils ont étaient obligés d’interrompre la retransmission. Je crois qu’ils ont dû être assaillis de coup de téléphone, leur standard a dû sauter … [rire]. Et on a terminé quand même au petit matin avec une trentaine de spectateurs qui avaient tenu le coup.

 Mais ces trente qui restaient et une partie de ceux qui étaient partis en cours de route, ont été quand même très surpris et pour certains séduits, passionnés par le pansori, ce qui fait que deux ans plus tard, nous avons représenté un pansori sur une durée plus courte et que régulièrement on a continué et aujourd’hui si l’on refaisait cette nuit de 9 heures je suis sûr qu’on aurait plusieurs centaines de personnes mais je ne le referais pas, parce que ce ne serait plus un phénomène de connaissance mais plutôt un phénomène de mode. Je ne suis pas sûr que ceux qui viendraient passer la nuit à écouter le pansori le feraient parce qu’ils apprécient mais parce qu’aujourd’hui le pansori est devenu quelque chose d’emblématique, de connu à travers le cinéma…

 Donc cette insistance, cette ténacité à vouloir présenter la Corée régulièrement a fait que j’ai été amené à revenir assez souvent en Corée pour des rencontres, des colloques ou d’autres occasions, à m’attacher à beaucoup d’artistes coréens, ce qui a sans doute amené les autorités coréennes à me demander de présider un comité d’organisation du 120ème anniversaire de la signature du premier traité avec la France. En 2006, l’année prochaine, nous avons prévu d’accueillir en France toute une série de manifestations coréennes qui, je le souhaite, élargirait l’éventail de ce que nous connaissons déjà et apporterait d’autres formes de spectacles notamment, je l’espère beaucoup, de créations. Parallèlement, la France présentera en Corée toute une série de manifestations culturelles. Nous sommes actuellement en train de travailler sur la réalisation de cet échange qui, je crois, marquera une étape importante dans le travail pour compléter la découverte de la Corée en France et peut-être de la France en Corée.

 Origine: Ambassade de France, Séoul http://ambafrance-kr.org/ 20/07/2005

France-Corée : Léon C. ROCHOTTE, septembre 2005

 
 
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