. . . . . . . . .. FCCIK Luncheon Meeting - June 2001
EXPOSÉ DU 19 JUIN 2001 DEVANT LA CHAMBRE FRANÇAISE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE EN CORÉE DU SUD
par Pierre Delaporte, Président Honoraire d'Électricité de France (EDF)
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un honneur et un plaisir de réfléchir devant vous et avec vous à un problème aussi délicat et important que celui des rapports entre la conduite des entreprises et les exigences de l'éthique, nouvel avatar de la bonne vieille morale. Ma fierté et ma joie seraient sans ombre si le past Vice-Président AL GORE ne venait pas de traiter un sujet voisin ici même.
Je comprends qu'il ait choisi SÉOUL plutôt que KYOTO mais regrette néanmoins cette concurrence sans toutefois la redouter car je suis sûr de mon bon rapport qualité / prix. Non pas, soyons modeste, sur le seul plan de la qualité mais du fait que je suis sûrement beaucoup moins cher que Monsieur GORE n'ayant pas à compenser la faillite récente d'une entreprise de confettis en Floride.
Il n'y a aucune originalité à vous dire que l'entreprise change. Ce n'est pas un scoop, l'entreprise a toujours changé. Plus intéressant serait d'essayer de discerner avec le maximum d'anticipation les mouvements, aujourd'huI faibles, qui vont demain devenir importants ou même prédominants. Au nombre de ces mouvements, je rangerai sans aucune hésitation le développement de ce qu'on appelle " la nouvelle éthique " .
Plus explicitement, il est clair que depuis quelque temps (relativement peu de temps) de nombreux groupes européens commencent à prendre en compte sérieusement le lancement d'une politique de développement durable.
Ceci résulte d'un certain nombre de faits que j'énumère avant de les réexaminer d'un peu plus près :
- plusieurs fonds éthiques montent en puissance et leur attitude est suivie avec un intérêt croissant par d'autres investisseurs ;
- les agences de notation globale croissent en nombre et en qualité et intéressent de plus en plus la communauté financière ;
- ces démarches correspondent bien aux préoccupations particulières de beaucoup d'entreprises (réponse à des attentes en matière d'environnement, renforcement de la qualité, dynamisation du management enrichissement des relations avec les salariés et les actionnaires) ;
- elles répondent également à l'évolution de l'opinion publique dont les attentes sont encore confuses, multiples et variées mais, en même temps, de plus en plus pressantes en matière d'environnement et de respect du consommateur.
Revoyons cela d'un peu plus près.
1 - LES FONDS ÉTHIQUES
Un fonds éthique est un produit financier comme un autre. Il investit en actions en recherchant une performance sur le long terme, (alors que les fonds de partage feraient plutôt des prêts et rechercheraient moins de performance financière). La spécificité du fonds éthique est qu'il donne un sens. Les gérants de ces fonds introduisent dans leurs objectifs des contraintes non financières. Historiquement, les premiers fonds résultent d'initiatives des congrégations religieuses aux ÉTATS-UNIS, dans les années 1920. Ils excluaient de leurs investissements les " sin stocks " des entreprises dont la production (tabac, jeu, alcool, armement, pornographie,...) leur paraissait moralement contestable. Une seconde génération de ces fonds, dans les années 1970, correspond à un élargissement et un affinement des critères d'exclusion (distribution d'alcool, nucléaire, hélàs, droits de l'homme ...) et du cercle de leurs promoteurs (mouvements de citoyens militants ...). Dans les années 1980 enfin le cercle des promoteurs s'élargit encore (associations de consommateurs, syndicats, ...) et se sont développés des critères de sélection positifs et non plus seulement d'exclusion, sur les pratiques de management des entreprises, sur la gestion de leurs ressources humaines, sur leur souci du respect de l'environnement et sur la qualité de leurs produits. Apparaît alors la notion de développement durable, formalisée au Sommet de RIO en 1990, lequel accepte bien un développement économique et financier de l'entreprise, mais dans un souci simultané de cohésion sociale, de respect de l'environnement et de prise en considération des générations futures. On s'intéresse à un développement équilibré de l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise, en en distinguant en général cinq telles parties prenantes, qui constituent autant de critères d'études : les collaborateurs, les clients et les fournisseurs, l'environnement, les actionnaires, et enfin la société civile. Les premiers fonds éthiques distincts des fonds de partage sont apparus en France en 1998. Fin 99, il y en avait 10. Fin 2000, il y en avait 30. Les en-cours sont d'environ 5 milliards de francs, ce qui, bien sûr, est encore très peu. Au départ les investisseurs étaient des Mutuelles.
Maintenant y figurent aussi des banques (SOCIETE GÉNÉRALE, CRÉDIT LYONNAIS, ...). Ces fonds représentent environ 0,1 % des investissements en France, contre 12 % aux Etats-Unis (après 70 ans de pratique) et 2 % par exemple en SUISSE ou en SCANDINAVIE, pays les plus avancés dans ce domaine en EUROPE. Les valeurs absolues sont donc encore faibles mais les mouvements relatifs sont, eux, déjà importants.
2 - LES TECHNIQUES DE NOTATIONS ET LE NOUVEAU MÉTIER DE L'ANALYSE SOCIALE
L'analyse sociale est pratiquée par des équipes spécialisées de certaines banques anglo-saxonnes et par des agences indépendantes, comme ARESE, en France, pour le compte des investisseurs. ARESE est co-fondateur du réseau international d'échanges d'informations CIRIL Groupe qui s'est créé en août 2000 et comprend, aux Etats-Unis, l'agence KLD qui publie l'indice Domini. Le premier travail, comme pour toute analyse, en particulier, financière, est un travail de collecte d'informations et d'extraction de données. Il faut commencer par une approche sectorielle partant de l'extérieur, grace à des contacts avec toutes sortes d'organismes nationaux et internationaux (ONG ...), au sujet des entreprises figurant dans les indices boursiers les plus importants. Puis aborder les entreprises elles-mêmes, leurs services de relations avec les investisseurs d'abord, puis leurs autres services et, bien sûr, les partenaires sociaux. L'intérêt pour cette démarche croît. Elle est, maintenant, conduite pour 80 % des entreprises du CAC 40. Suit l'analyse de ces informations. Chacun des cinq critères distingués tout à l'heure est évalué à trois niveaux de l'entreprise : le leadership (implication de la DIRECTION GÉNÉRALE), le déploiement (moyens mis en oeuvre dans l'entreprise pour faire aboutir les idées de la DIRECTION) et les résultats effectifs. La procédure s'inspire beaucoup des pratiques développées dans les démarches de qualité totale. Le produit est un système de notations suivant une grille d'analyse qui peut compter jusqu'à 300 champs dans chacun des critères. Ce travail se fait évidemment par secteur d'activité et au niveau international pour mieux situer les spécificités nationales. Le résultat est une notation à cinq niveaux (de ++ à - -) sur les différents critères.
3 - L'ÉVOLUTION DANS L'ATTITUDE DES ENTREPRISES
Une entreprise est un champ de forces exercées par le personnel, les managers, les actionnaires, les fournisseurs et bien sûr les clients. La réussite réside dans une relative convergence de ces forces, l'échec résultera, lui, de divergences ou d'oppositions fortes. Quelles sont donc les évolutions récentes en ce domaine?
On peut y distinguer, de façon un peu arbitraire bien sûr, un problème, une donnée de fond et formuler enfin un pronostic.
a) - LE PROBLÈME : LE DÉSAMOUR DU PERSONNEL
" Ils n'aiment plus la boite ! " est devenu le cri de douleur permanent des employeurs. Et il est vrai que la fidélité au pavillon n'est plus ce qu'elle était. Témoin un turn over important et croissant. Au-delà du constat et de la recherche de remèdes (primes à l'ancienneté, stocks options etc...) il serait sans doute souhaitable de se poser la question : La " boite " est-elle aimable ? Est-on fier de lui appartenir ? Montre-t-elle de la considération pour son personnel ? Les réponses ne sont pas toujours faciles à donner mais l'auto critique est très souvent fructueuse en ce qu'elle élimine les non-dits. Je n'en veux pour preuve que le cas que j'ai eu à connaître de l'exportation de matériel de guerre. L'entreprise en question se désolait d'un turn over important chez ses cadres commerciaux pourtant dorlotés.
L'analyse de premier degré était simple :
- l'opinion publique vous considère comme des marchands de mort ;
- votre communication interne (la seule que vous pratiquiez) est bonne mais très cartésienne et donc impuissante à combattre le sentiment général ;
- par conséquent, ou vous vous résignez au rôle du méchant efficace (les arguments ne manquent pas) ou vous lancez une communication externe -
et en vérité générale - sur le thème : " des frondes pour David sinon Goliath sera gagnant à tous les coups ".
b) - LE CONSTAT : PLUS BLANC QUE BLANC ET ... AUSSI RICHE
Les sociétés d'appréciation établissent leurs propres référentiels à partir des informations qui leur sont fournies. Ce sont elles qui déterminent la pondération des critères en fonction de leurs objectifs. On observe, par exemple, que les critères ressources humaines sont les plus considérés en FRANCE alors qu'au JAPON ce sont les considérations d'environnement qui dominent. L'évolution des pratiques comportera bientôt une plus grande information donnée par ces sociétés sur leurs méthodes de pondération. La manière de donner cette information est en cours de maturation. ARESE par exemple, dont nous avons déjà parlé, qui est un outil d'évaluation et non pas un organisme militant, n'impose pas de pondération. Elle a cependant sélectionné un ensemble de 90 valeurs boursières françaises, bien notées sur ses critères "développement durable" et suit, sans le publier, un indice reflètant la performance en Bourse de ces valeurs. Cet indice est absolument en ligne avec les variations de l'indice de référence. Ces entreprises ne sont donc, financièrement, ni plus ni moins performantes que les autres. L'information d'ordre éthique permet de donner un sens à un investissement, sans renoncer à sa rentabilité financière. Il est envisagé de publier les indices correspondants quand on aura assez de recul ce qui sera un moment crucial car en faisant publiquement l'information des investisseurs on fait en même temps celle des clients.
c) - LE PRONOSTIC : l'AVÈNEMENT D'UN NOUVEAU CLIENT ROI.
Le consumérisme bien sûr ne date pas d'hier mais il se limitait jusqu'à peu à vouloir des produits performants et pas chers. (cf. Ralph NADER). Il devient maintenant l'exigence de produits pas plus chers que leurs concurrents mais " propres " ou éthiquement satisfaisants proposés par des entreprises elles-mêmes reconnues comme " bien sous tous rapports ".
L'évolution dans les méthodes est d'être passé du pilori au guide MICHELIN. On ne montre plus du doigt les "méchants", on met en valeur les "bons" et malheur aux entreprises qui seront non cotées et donc non fréquentables. Les récents mouvements de boycott ( SHELL, TOTALFINA, UNION CARBIDE, REEBOK, DANONE) sont les premiers frémissements de cette nouvelle royauté du client. Très rapidement deux cas qui sont un avant-goût de ce qui attend les grandes firmes.
a) "Les sous-traitants de REEBOK dans certains pays pauvres emploient des enfants de moins de douze ans, mal payés et travaillant dans de mauvaises conditions" devient en une quinzaine des jours "REEBOK emploie des enfants de moins de huit ans, payés un dollar par jour et travaillant dans des conditions exécrables".
Trois réponses sont théoriquement possibles.
La cynique : "N'exagérons pas. Les belles âmes désincarnées devraient visiter nos usines. Nos jeunes travailleurs sont enviés par leurs camarades. Ils sont fiers d'aider leurs familles à ne pas sombrer dans la pire misère et échappent de plus à la prostitution et au sida".
L'utopique : "Nous avons lancé une réorganisation du travail des enfants comportant un salaire décent et une mi-temps de formation scolaire. Ceci permet d'espérer... etc. ... "
La réaliste : "Notre bonne foi a été surprise par certains de nos fournisseurs. Dorénavant seuls seront agréés les signataires d'un cahier des charges conciliant les dures nécessités d'un travail des enfants dans certaines régions et la sauvegarde de la dignité de nos jeunes collaborateurs ". Dir. Com. à vos pièces. Vous n'avez pas fini de souffrir!
b) À tort (scandale médiatique d'une plate-forme en mer du Nord) ou à raison (marée noire) SHELL était la bête noire de l'opinion publique à la fin des années 80. Avec des idées (beaucoup d'imagination créatrice), du travail (des centaines de techniciens plein temps pendant dix ans) et de l'argent (beaucoup de dollars) SHELL est devenue le seul pétrolier dont le capital est recommandé à l'achat par les fonds éthiques ! Mieux, le naufrage du IAVOLI SUN n'a pas été diabolisé et n'a amené SHELL (que j'aime) à renoncer ni à ses oeuvres ni à ses pompes. Salut l'artiste ... * * * *
En conclusion, je pensais citer MALRAUX qui assurait que soit le 21ème siècle serait religieux (ou simplement moral) soit, il connaîtrait un destin tragique. Mais Al GORE, encore lui, m'a chipé l'idée . Je me replierai donc plus concrètement sur la déclaration finale du président thaï d'un récent CONSEIL MONDIAL DE L'ÉNERGIE : "Apprenons ou réapprenons le respect des choses. A travers elles ce respect s'adresse à DIEU qui les a créées ou aux hommes qui, par leur travail, nous les ont procurées".
For more information about this meeting, contact Benoit Grange, Publication Manager, pub@ccifc.com, phone number: 2268.9505