Corée du Sud : Le jackpot de Séoul par Julia Dion
Grâce à sa politique volontariste, la Corée du Sud est devenue le n°1 de l'ADSL, connexion rapide à haut débit. Aujourd'hui, le pays y trouve son compte.
De ce beau mercredi ensoleillé à Séoul, Jun-ki, 18 ans, n'aura pas beaucoup profité. Enfermé dans une salle de jeux en réseau perdue au fin fond d'un centre commercial, ce jeune Coréen a préféré affronter tout l'après-midi des guerriers virtuels, calé dans un fauteuil. A peine rentré chez lui, il a lu ses e-mails et a fini la soirée en communiquant avec ses amis via une communauté virtuelle. L'emploi du temps de Jun-ki ressemble à celui de 26 millions d'internautes coréens. Normal: en Corée du Sud, on clique comme on respire. Tandis qu'un Français navigue sur la toile six heures par mois, le citoyen coréen y passe dix-neuf heures par semaine. Car l'Internet à la coréenne a tous les avantages: faible coût et rapidité. Pour une trentaine d'euros par mois, les Coréens surfent sur le réseau le plus rapide du monde. Télécharger des vidéos ou dialoguer sur les forums est une vraie partie de plaisir. Pas étonnant que 8 millions de foyers coréens aient opté pour le haut débit, l'ADSL (Asymetric Digital Subscriber Line) et le câble, alors que la France ne compte encore que 884 000 abonnés. En Asie, même constat. La Corée, en termes de taux de pénétration du haut débit (64%), a distancé Singapour, Taïwan et le Japon, pourtant roi de l'Internet mobile, pour le nombre des utilisateurs de l'Internet rapide. Tandis que la plupart des pays occidentaux attendent que l'Internet large bande décolle enfin, le marché coréen est déjà saturé.
La Corée collectionne les records: plus de 50% de la population connectée, 65% des ménages équipés en PC, 3 millions d'abonnés au câble modem et 5 millions d'abonnés à l'ADSL, soit 25% des lignes ADSL du monde! De quoi faire rêver les opérateurs européens et américains, qui peinent à développer cette technologie chez eux. Au rang des pays européens utilisateurs de l'Internet rapide, la France se situe loin derrière les Pays-Bas et l'Allemagne. Même si le ministère de l'Economie et des Finances planche sur un projet de loi sur l' "économie numérique", ses objectifs restent modestes: 10 millions d'abonnés au haut débit d'ici à cinq ans. On est loin du volontarisme coréen.
Le fruit d'un coup politique Car la folie Internet qui règne sur la péninsule coréenne a d'abord été le fruit d'un joli coup politique. "Après la crise économique, le pays avait besoin de relancer son économie, les nouvelles technologies représentaient l'eldorado rêvé", se souvient Hwang Kwang-sun, d'Interpark.com, l'un des premiers sites marchands du pays. En 1999, le ministère de l'Information et de la Communication lance le programme Cyber Korea 21. Objectif: informatiser et connecter les entreprises, les écoles et les particuliers au réseau des réseaux. Coût de l'opération: 29,3 milliards d'euros. Le gouvernement n'hésite pas à subventionner jusqu'en 2000 tout achat de PC. Mieux, il fait la promotion des logements précâblés, les "cyberappartements". La Corée compte aujourd'hui quelque 144 villes et plus de 10 000 établissements scolaires raccordés. "La Corée du Sud est un pays très urbanisé, avec l'une des densités de population les plus fortes du monde - 70% de la population se concentre dans quatre villes. Câbler un immeuble revient à connecter plusieurs centaines de personnes en même temps à un moindre coût", remarque Yong S. Lee, de Thrunet, le premier opérateur à s'être lancé dans la fourniture d'accès en 1998, qui compte aujourd'hui 1,3 million d'abonnés.
Autre clef du succès de l'Internet haut débit en Corée du Sud: la concurrence. Si l'Etat a poussé Korea Telecom, l'opérateur public, à conquérir le marché du haut débit en faisant baisser les tarifs, il a aussi autorisé Hanaro, le deuxième opérateur privé, à construire son propre réseau de fibres optiques en s'affranchissant de la solution de "dégroupage" qui pose problème en France. Pour le consommateur coréen, c'est une bonne affaire: une installation ADSL coûte entre 15 et 30 €; un abonnement, 24 €, prix de base. Résultat: c'est l'explosion du nombre des PC Bang, salles de jeux en réseau: en moins de deux ans, il passe de quelques milliers à 25 000, dont 15 000 à Séoul. Dans ces salles, des centaines de joueurs s'affrontent en même temps sur le Net pour quelques euros l'heure. "La popularité des PC Bang est liée au succès du haut débit. Les jeux vidéo comme StarCraft ou Lineage s'arrachent à des millions d'exemplaires. Les Coréens ont trouvé avec Internet un loisir de rêve", explique Serena Park, de Geto.co.kr, une société qui équipe les PC Bang. Car Internet, c'est surtout un mode de vie pour un pays où plus de 50% de la population a moins de 30 ans. "Les Coréens s'adaptent très vite aux nouvelles technologies: ils veulent être les premiers à tester les nouveautés", souligne Lee Jaewoong, PDG de Daum.net, le premier site coréen, avec 40 millions de visiteurs par jour. Exemple: les avatars, ces petits personnages qui représentent les internautes dans des sites communautaires (sites créés autour des centres d'intérêt de leurs membres), font un tabac. "Les Coréens adorent l'interactivité. Ce sont des internautes très actifs qui sont prêts à payer pour des services et des contenus de qualité", explique Sally Kwon, de Daum.net, qui répertorie 1,4 million de sites communautaires. Et ces consommateurs nouvelle génération sont boulimiques: films, produits éducatifs, musique, jeux... Selon la Mission économique de Séoul, la Corée possède un taux de conversion visite-achat parmi les plus élevés du monde: 48% des Coréens effectuent un achat lors d'une visite sur un site marchand. En 2001, les résultats de l'e-commerce étaient encourageants: 89,6 milliards d'euros, soit un bond de 93% par rapport à 2000. L'"e-brokerage" représente 63% du volume total des transactions boursières.
Prochain marché: les accès sans fil Si un site Internet comme Daum.net enregistre 30 000 nouveaux venus par jour, les acteurs du marché sont conscients que le taux d'équipement et les heures passées sur le réseau vont, un jour ou l'autre, stagner. "Nous sommes presque parvenus au point de saturation, affirme Lee Jaewoong; à nous d'explorer toutes les possibilités d'Internet." Notamment celles de l'Internet mobile. Les Coréens peuvent déjà, via leur téléphone portable, avoir accès à Internet. Sachant que 61% des Coréens possèdent un portable, soit 29 millions d'abonnés mobiles, ce sont autant de consommateurs potentiels pour des contenus multimédias de plus en plus élaborés et... chers. Mais un autre marché fait déjà rêver: celui des accès sans fil. Objectif: se connecter via son PC portable un peu partout... sans aucun branchement. D'après la Mission économique de Séoul, Korea Telecom est déjà sur le coup et prévoit d'investir 85,3 millions d'euros dans le déploiement de ce réseau révolutionnaire. Fin 2002, 10 000 emplacements, dans le métro, les universités et les hôtels, permettront de surfer sans fil. La Corée du Sud n'est pas près d'abandonner sa place de n°1.
Julia DION pour L'Express et France-Corée(L'Express du 07/11/2002)
France-Corée Léon C. Rochotte Novembre 2002