Séoul, ville géante, cités radieuses (géographie)

Valérie GELÉZEAU

Préface de Jean-Robert PITTE 

Collection Asie Orientale dirigée par Christian Henriot, 292 pages, 29 € - ISBN 2-271-06085-0

CNRS ÉDITIONS
15, rue Malebranche
75005 PARIS
www.cnrseditions.fr 
Couverture : création David Lee Fong . Illustration : courtesy of KNHC, Korea

D'austères façades bétonnées, des quartiers où la rue disparaît, des barres à perte de vue..., au total des grands ensembles dont la population se chiffre en dizaines, voire en centaines de milliers d'habitants. Ce tableau, qui évoque l'utopie de Le Corbusier portée à son comble, est pourtant bien réel et fait partie de l'environnement quotidien de nombreux Coréens. Au Pays du Matin calme, les cités radieuses sont, en effet, au cœur même des villes et le grand ensemble, ou tanji, est un type d'habitat apprécié par la majorité de la population, y compris ses franges aisées.

Comment comprendre ce paradoxe?

Consacré aux grands ensembles de Séoul et à leurs habitants, cet ouvrage invite à la découverte d'une très grande métropole mondiale encore mal connue. L' auteur y reconstitue l'écheveau complexe des relations entre la ville coréenne, ses acteurs -urbanistes, architectes, administrateurs du secteur public, promoteurs- et ses habitants. Cette quête de la ville et du mode d'habiter coréen met en lumière les différents processus qui ont fait entrer cette société urbaine dans la modernité, au-delà des seuls mécanismes économiques responsables du formidable essor de la Corée du Sud.

La géographie des grands ensembles à Séoul, qui bouscule les idées reçues de l'observateur, amène à considérer d'un œil neuf les relations entre formes urbaines et lien social.

Valérie Gelézeau, ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée, docteur en géographie, est maître de conférences à l'Université de Marne-la-Vallée. Membre du laboratoire Espace et Culture (CNRS-Paris IV), associée au laboratoire d'Études coréennes (CNRS-EHESS-Paris VII-EFEO), elle poursuit des recherches sur la Corée contemporaine.


- PRÉFACE

Existe-t-il un pays au monde dans lequel une majorité de la population aspire à vivre dans un grand ensemble et qui, progressivement, y parvient, créant ainsi un paysage hérissé par des dizaines de milliers de tours et de barres à peu près toutes semblables? Oui, c'est la Corée. Non pas celle du Nord, dont le régime stalinien exsangue n'est pas plus capable de fournir du béton frais que du riz à ses citoyens-otages, mais celle du Sud, démocratique et libérale, dont le RNB par habitant est au 27e rang mondial et au 4e rang d'Asie. Le rêve de Le Corbusier est en train de s'y accomplir à grande vitesse. Des quartiers d'habitat individuel que tout visiteur européen rêve de moderniser et de sauvegarder, qui ailleurs se "gentrifieraient", y disparaissent chaque jour sous le coup des pelleteuses pour laisser la place à ces constructions brutales, bâties à touche-touche, uniformes par leur volume, leur raideur, leur blancheur, la sobriété de leur décoration qui se réduit à un logo et un numéro peints sur le côté, sans lesquels aucun visiteur n'aurait de chance de pouvoir s'y repérer.

C'est cet étrange phénomène que Valérie Gelézeau a voulu comprendre au travers du cas de Séoul, grâce aux méthodes de la géographie et à sa très bonne connaissance de la langue et de la culture coréennes, grâce aussi au respect affectueux qu'elle porte aux Coréens, sans lequel une telle enquête n'aurait pas été possible. Le lecteur français se sentira d'autant plus interpellé par ce qu'il va lire dans cet ouvrage pénétrant qu'il est habitué en ouvrant son journal à voir associés les grands ensembles aux formes les plus poussées de la disparition du lien social, de l'incivisme et de la délinquance. Comment cette architecture et ce prétendu urbanisme, chez nous représentatif des "Trente Glorieuses" et triste avatar de la "Charte d'Athènes", peut-il séduire à ce point un peuple prospère, éduqué, héritier de l'une des civilisations anciennes et raffinées de l'Asie sinisée? La question est simple et s'impose à tout étranger qui visite la Corée. Les réponses sont complexes et Valérie Gelézeau a dû dépouiller une abondante littérature, entrer dans les arcanes du rapport ambigu qui existe en Corée entre les entreprises privées et le pouvoir politique et, surtout, rendre visite aux habitants de ces tanji, les interroger inlassablement, eux et tout le petit peuple des gardiens et employés d'entretien.

Ce travail est une analyse fine de la modernité coréenne, des aspirations et des rêves de ce peuple industrieux et optimiste qui regarde plus devant lui que derrière. Pas trop devant, tout de même, et Valérie Gelézeau se garde bien de prédire ce que deviendra ce type d'habitat, quel rapport entretiendront demain les Coréens en général, et les Séouliens en particulier qu'elle a étudiés, avec leurs tanji aujourd'hui si désirés et aimés des classes moyennes. Elle jongle avec les échelles: depuis l'espace coréen dans son ensemble, celui de la région capitale, des quartiers qu'elle a parcourus, jusqu'aux groupements de barres, à leurs espaces publics, à leurs cages d'escalier et à la sphère domestique de l'intérieur des appartements. Partout, on ressent l'existence de territoires, c'est-à-dire d'espaces appropriés, dans lesquels les habitants se sentent plutôt bien ensemble. C'est de la belle et bonne géographie, également une nouvelle manière de faire comprendre l'Extrême-Orient aux non-spécialistes, grâce à l'emploi d'une langue simple et claire.

Les Coréens ont manifesté depuis un demi-siècle une ardeur à l'ouvrage et une inventivité qui forcent l'admiration. Demain, il ne fait pas de doute que leurs grands ensembles, vite construits, se dégraderont et que leurs habitants rêveront d'autres cadres de vie. Si la prospérité et la cohésion sociale du pays se maintiennent, d'autres formes d'urbanisation se développeront. Elles sont déjà perceptibles dans les périphéries lointaines de Séoul où l'élite de la capitale se fait construire de luxueuses villas respectueuses de la géomancie et jouissant d'une vue agréable. La capacité au changement des Coréens éclate dans le paysage urbain des tanji. Elle peut demain se manifester dans le retour à un habitat individuel d'un type nouveau, apparenté à ce que l'on voit au Japon. Ce pourrait également être l'évolution de la Chine des décennies à venir. Et pourquoi pas un jour de la France affligée de ses grands ensembles qu'elle n'a jamais véritablement aimés?

Il faut lire ce livre qui est un miroir cruel pour les Français; tentés de sourire des villes coréennes. Il invite à une réflexion décapante sur la nécessité de créer des espaces de vie conformes aux attentes des citoyens et non seulement à celles de leurs architectes, urbanistes, intellectuels ou décideurs politiques.

Jean-Robert PITTE, Université de Paris-Sorbonne


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 FRANCE-CORÉE - L.ROCHOTTE Mars - Avril 2003


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